Le droit belge de la concurrence en 2020 : volume 1

Nouvelles lignes directrices sur la clémence de l’Autorité belge de la Concurrence

Le 25 mai 2020, l’Autorité belge de la Concurrence (ci-après « ABC ») a publié la mise à jour de ses lignes directrice sur la clémence, entrées en vigueur le 22 mai 2020. Cette actualisation a pour but de mettre lesdites lignes directrices en concordance avec la loi du 2 mai 2019, qui a remplacé l’ancien livre IV du Code de droit économique par un nouveau livre IV, intitulé « Protection de la concurrence ». Ces lignes directrices s’appliquent uniquement aux ententes, c’est-à-dire à « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. » Ces ententes sont prohibées tant par le droit européen (article 101 TFUE) que belge (article IV.1 CDE) de la concurrence. Chacune des entreprises ou associations d’entreprises reconnues coupables d’une telle infraction peut se voir sanctionner par l’ABC d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires mondial (Art. IV.70. § 1er CDE). Les personnes physiques ayant participé à un cartel, en négociant notamment au nom et pour le compte d’une entreprise ou d’une association d’entreprises avec des concurrents, peuvent également se voir infliger une amende administrative pouvant s’élever jusqu’à 10.000€ (Art. IV.70. § 2 CDE).

Objet des lignes directrices

Les lignes directrices de l’ABC concernent la procédure de clémence, qui permet à une entreprise ou une association d’entreprises ayant participé à une entente secrète[1] d’en révéler l’existence auprès de l’ABC, en contrepartie d’une exonération complète ou partielle de l’amende qui lui serait infligée. Ces lignes directrices détaillent et explicitent les conditions et modalités à respecter afin de pouvoir bénéficier d’une telle exonération, voir même de l’immunité des poursuites.

La précédente version de ces lignes directrices, entrée en vigueur le 23 mars 2016, était venue remplacer la Communication du Conseil de la concurrence du 22 octobre 2007 sur l’exonération totale ou partielle des amendes dans les affaires portant sur les ententes, en introduisant notamment la possibilité pour les personnes physiques de se voir immuniser contre d’éventuelles poursuites. Celles-ci peuvent en effet, depuis la loi du 3 avril 2013, se voir sanctionner par l’ABC – alors que tel n’est pas le cas en droit européen.

Conditions d’exonération pour les entreprises

La procédure de clémence permet à une entreprise ou à une association d’entreprises de bénéficier d’une exonération totale ou partielle d’amende. Pour cela, le demandeur doit notamment se conformer à une obligation de coopération, c’est-à-dire fournir de bonne foi son entière collaboration de manière continue et rapide auprès de l’ABC, en lui fournissant notamment toutes les informations et éléments de preuve pertinents en sa possession ou à sa disposition.

Afin de bénéficier d’une exonération d’amende, il est nécessaire pour le demandeur d’agir rapidement pour dénoncer le cartel auquel il participe. En effet, l’ABC apprécie la demande de clémence suivant les éléments dont elle dispose également. Or, l’ABC peut avoir déjà ouvert une enquête de sa propre initiative, et ainsi disposer de certaines preuves. Il est également possible que plusieurs entreprises membres d’un cartel se manifestent pour bénéficier de la clémence de l’ABC, sans se concerter. Dans ce cas, l’ABC va étudier le rang du demandeur au sein des demandeurs de clémence : globalement, le premier pourra bénéficier d’une exonération totale d’amende, tandis que les suivants ne pourront seulement voir leur amende partiellement réduite. Dans tous les cas, les éléments apportées par le demandeur doivent soit être inédits, et permettre à l’ABC de procéder à des perquisitions, soit avoir une valeur ajoutée significative par rapport aux preuves déjà réunies par l’ABC.

Immunité des poursuites pour les personnes physiques

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 avril 2013, l’ABC peut désormais sanctionner les personnes physiques qui négocient au nom et pour le compte d’une entreprise ou d’une association d’entreprises avec des concurrents. Il leur est également interdit de convenir avec eux de fixer les prix de vente de produits ou services aux tiers, de limiter la production ou la vente de produits ou services, ou encore d’attribuer des marchés (Art. IV.1. §4 CDE).

La possibilité d’une immunité des poursuites pour les personnes physiques résulte de la modification des lignes directrices de l’ABC en 2016. En effet, les nouvelles lignes directrices publiées par l’ABC le 1er mars 2016 avaient alors pour but d’intégrer les personnes physiques dans le champ d’application de la procédure de clémence. Il apparaissait en effet naturel que, pouvant désormais être sanctionnées, ces dernières puissent tout comme les personnes morales échapper à d’éventuelles poursuites pour des atteintes au droit de la concurrence. Il est intéressant de souligner que l’ouverture de la procédure de clémence à l’égard des personnes physiques représente une particularité de la législation belge.

En effet, le programme modèle de clémence du Réseau Européen de Concurrence du 29 septembre 2016 ne prévoit pas de possibilité d’échapper aux poursuites. Le droit français et italien n’envisage pas non plus d’immunité pour les personnes physiques impliquées dans un cartel. En revanche, il existe en Allemagne et en Espagne une protection contre les amendes administratives, et une protection contre les poursuites pénales au Royaume-Uni.

Les lignes directrices du 25 mai 2020 conservent bien évidemment cette possibilité. Ainsi, pour pouvoir bénéficier d’une immunité des poursuites, la personne physique doit être (ou avoir été) impliquée dans une ou plusieurs des infractions précitées, et contribuer à prouver l’existence de cette ou ces pratique(s) interdite(s), notamment en fournissant des renseignements dont l’ABC ne disposait pas encore, ou en reconnaissant sa participation à des pratiques sanctionnées. Il faut encore souligner ici que l’immunité des poursuites est ouverte aux personnes physiques sans considération de leur rang au sein des demandeurs de clémence, ce qui diverge de la clémence accordée aux entreprises.

Apport de la modification

La mise à jour du 25 mai 2020 des lignes directrices sur la clémence par l’ABC n’apporte pas de grands changements et ne fait que les aligner sur la loi du 2 mai 2020 modifiant le Code de Droit Economique. Ainsi, si les lignes directrices du 25 mai 2020 se fondent sur l’article IV.54 CDE, tandis que celles de 2016 s’appuyaient sur l’ancien article IV.46 CDE, il ne s’agit en réalité que d’un changement de numérotation du Code. C’est en réalité l’introduction par l’ABC de la possibilité de l’immunité des poursuites au bénéfice des personnes physiques en 2016 qui représentait une véritable innovation.

Intérêt de la procédure de clémence : une opportunité à saisir pour se mettre en conformité

Sous l’impulsion du droit européen, l’activité de l’ABC s’accroît fortement ces dernières années, et notamment en matière de contrôle de pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, selon le Rapport annuel de l’Autorité, elle a infligé en 2015 des amendes dont le montant total s’élève à 174,8 millions d’euros.

Les sanctions prononcées, de plus en plus lourdes et fréquentes, peuvent aussi bien toucher les personnes physiques que morales, ayant participé de près ou de loin à une pratique restrictive de concurrence. De ce fait, il est crucial de pleinement s’assurer de ne pas être susceptible de faire l’objet d’amendes qui, outre leur coût, représentent une sanction plus que symbolique vis-à-vis des autres acteurs du marché, notamment les consommateurs.

Si un doute sur l’existence d’une pratique anticoncurrentielle prenant la forme d’une entente se manifeste ou se confirme au sein d’une entreprise, il est alors important d’envisager rapidement l’introduction d’une demande de clémence auprès de l’Autorité, car en apportant en premier des éléments de preuve utiles, le demandeur pourrait être éligible à une exonération totale d’une éventuelle amende. Pour ce faire, l’assistance d’un avocat expérimenté en droit de la concurrence est recommandée, afin que la plus-value de la coopération soit adéquatement mise en avant auprès de l’ABC à la lumière de sa pratique et de celle des autres autorités de la concurrence établies dans l’Union européenne.